Ce jourd’hui, le soleil avait dépassé son zénith depuis peu lorsque Manaka passa les portes principales du Quartier Uchiha. Vêtue sobrement d’une jupe grise dévoilant à peine ses genoux et d’un haut marine au dos duquel s’illustrait l’éventail du clan, la brune passait inaperçue parmi ses pairs. Un peu plus grande que la moyenne grâce à ses talons battant le sentier, elle ne se faisait pourtant pas remarquer avec sa tête basse et sa manière de longer les murs.

En cette après-midi de printemps, la chûnin s’était passée de manteau, mais un sac conséquent encombrait ses mains. L’objet jurait avec sa silhouette fine et gracile. Elle se moquait bien de cet aspect esthétique et cela se voyait. Manaka n’était pas connue pour son élégance et sa mise ne mettait pas en valeur les atouts que la Nature lui avait conférés. Qu’importait finalement. La Kunoichi ne se rendait pas à un rendez-vous galant, mais allait au-devant d’un patient particulier.

Relevant la tête pour vérifier son chemin, Manaka aperçut la demeure de son chef de clan. Fière, austère, traditionnelle, un frisson courut le long de sa colonne vertébrale comme elle s’élançait en cette direction. Elle parvint au perron non sans essuyer quelques regards interrogatifs et ses talons claquant sur le bois annoncèrent son arrivée avant même qu’elle ne frappât le panneau de bois. Trois coups signalèrent ses intentions et la demoiselle attendit qu’on lui accordât l’autorisation d’entrer.

Manaka passa la porte et entreprit d’ôter ses bottes avec la force de l’habitude. Itachi pouvait la devancer, elle n’avait pas l’impression d’être plus versatile que lui et le silence régnant dans cette maison lui rappelait la sienne. Était-ce là le lot de tous les Uchiha ? Posant son sac sur le bureau sommairement paré, elle ne constata aucun changement vis-à-vis de sa dernière visite et tourna le dos à son patient. Dossiers, instruments personnels, la medic-nin avait ses maniaqueries et glissa le barda sous la planche maintenant ordonnée.

« As-tu constaté une évolution de toi-même ? questionna-t-elle en reprenant ses notes de leur dernière entrevue.

Tsunade avait préparé un questionnaire dont Itachi devait connaître par cœur les interrogations maintenant. Il n’était plus besoin de lui demander s’il avait présenté des douleurs, des troubles visuels, hémorragies anormales etc. Manaka, assise à distance respectable de son cher patient, une jambe par-dessus l’autre, attendait les nouvelles déclarations à consigner dans le dossier médical de son cousin.

- As-tu eu besoin de faire appel à l’iryôninjutsu depuis la dernière fois ?

Cette question ne faisait pas partie de la routine dictée par Tsunade, mais Manaka souhaitait retracer la moindre intervention médicale, fusse pour une égratignure en mission. D’abord, cela pouvait toujours servir pour le suivi futur d’Itachi, ensuite c’était une curiosité que la chercheuse en herbe souhaitait explorer dans la constitution de ses hypothèses sur le chakra des ninja-médecins. Certes, elle s’en voulait peut-être un peu d’expérimenter ainsi sa théorie sur le shinobi, mais cette culpabilité fut dissimulée par le semblant de concentration qu’elle accordait au papier entre ses mains.

- Peux-tu te coucher sur le dos, s’il te plaît ?

Avec une dextérité trahissant sa fonction originelle, Manaka se contorsionna pour prendre trois parchemins qu’elle reconnaissait maintenant au toucher. La prise de constante était généralement une formalité, mais les sceaux d’analyse de la Limace étaient remarquables et la chûnin prenait plaisir à les utiliser. En un autre temps et un autre lieu, sûrement aurait-elle adoré travailler avec la Senju. Aujourd’hui, elle souffrait de la comparaison et ne pouvait que garder pour elle ses avis et élucubrations.

Sur cette pensée, son regard se perdit sur Itachi. À un instant qui lui semblait perdu à tout jamais, il lui parlait. Pas une parole froide et informative, mais une voix chaude qui avait su toucher une adolescente condamnée par ses pairs. Maintenant, il lui semblait inaccessible, comme avant sa venue à l’hôpital et cette constatation la peinait, silencieusement.

- N’hésite pas à m’interrompre si quelque chose ne va pas, prévint-elle en positionnant ses mains au-dessus de son plexus solaire.

Elle expira doucement et se concentra avec délice sur la transformation de son chakra. Pouls, normal. Température, normale. Circulation du chakra, normale. Manaka était à sa tâche et ne se perdait pas dans les détails. Elle bougea légèrement sa main droite, laissa son regard se teinter de grenat et renforça brutalement son chakra. Partie peu agréable pour le patient, la kunoichi suivait le protocole et laissait ce flux médicinal parcourir les méridiens renforcés par Tsunade. Semblables à des points de contrôle l’informant de l’avancement de la maladie, les interactions sous ses yeux lui dictaient des informations qui ne pouvaient être décrites dans les notes de la Princesse Limace. Un jour, il lui faudrait parler avec la grande blonde de tout ce qu’elle percevait au cours de ses soins. Impossible à consigner en tant que tel.

Avec douceur, Manaka résorba son chakra et observa les couleurs se dissocier peu à peu, puis le flux d’Itachi reprendre un cours paisible. Son sharingan se fana comme elle se tournait pour remplir le dossier de l’Uchiha. Retournant à celui-ci, elle se saisit d’un garrot et d’une seringue.

- Ton bras, s’il te plaît. »

La force de l’habitude, mais son patient était plutôt docile et elle n’avait presque plus besoin de réclamer sa coopération. Dans cette opération, il ne lui fallait que de quelques gouttes à verser sur les sceaux préparés par Tsunade. Ensuite, il ne resterait plus que les résultats à consigner et la chûnin pourrait retourner à l’hôpital essuyer les mille et unes questions indiscrètes de quelques pintades lui enviant cette « relation » privilégiée avec le fameux Itachi Uchiha. Une journée ordinaire, songeait-elle en se tournant vers les rouleaux de la Senju, ignorant presque sciemment l’homme derrière elle.

Parce qu’elle allait refuser son départ, Manaka se retrouva coite lorsqu’il poursuivit sur sa lancée. L’espace d’un instant, la brève désapprobation dans son regard et la contraction de ses sourcils détonna avec ses lèvres entrouvertes et sa bouche tout simplement muette. L’Uchiha avait du mal à comprendre ce que son cousin venait de formuler, ou ne voulait pas le comprendre. Son expressivité se fana pour laisser l’étonnement seul dominer ses traits.

« Pardon ? s’exclama-t-elle comme si elle avait mal entendu ou qu’elle lui offrait une chance supplémentaire de corriger ses paroles.

D’ordinaire plus respectueuse et protocolaire, Manaka commença à fuir le regard d’Itachi en réalisant le ton qu’elle venait d’employer à son égard. Toujours assise, fermant, puis rouvrant la bouche pour trouver que répondre, elle fit mine de reprendre ses notes le temps de se redonner contenance. Pourquoi voulait-il l’emmener ? Troublée, la medic-nin jeta un œil aux rouleaux de la Senju. Il lui fallait se reprendre, interpréter les résultats, se concentrer sur sa tâche, sa fonction. Elle tentait de partitionner son esprit, mais se sentit trahie par ce tic qui la reprit comme elle consignait les résultats.

- N’y a-t-il personne d’autre ayant souhaité t’accompagner au Pays des Rizières ? quémanda-t-elle entre candeur et méfiance.

Manaka commençait à entrevoir la possibilité qu’Itachi ait pu exposer les grandes lignes d’une mission impossible à des shinobis ayant préféré céder leur place. La réputation du génie le précédait et ses exploits pouvaient forcer nombre des leurs à réévaluer la notion de danger quand lui-même s’y exposait.

- De quel type de mission s’agit-il ? demanda-t-elle plus calmement. »

Elle pouvait imaginer beaucoup de choses et déduisait de l’implication d’Itachi qu’une ombre légendaire planait sur Otogakure, mais en quoi pouvait-elle lui être plus utile que d’autres shinobi plus au fait de ce qu’il se passait par ici ? Manaka n’affrontait plus le regard de son cousin et avait rangé ses affaires avec une minutie qui lui était coutumière. Certes, Itachi était apte à servir Konoha, mais de là à piétiner le territoire d’Orochimaru ? Le risque de ne pas voir revenir le shinobi était sensiblement accru par cette variable et cette possibilité serrait le cœur de la kunoichi. Elle ne voulait pas qu’il remarque ce voile de tristesse et fit de son mieux pour garder son calme et sa concentration dans l’optique de ce qu’elle devait être.

Qu’Itachi lui confirmât ses mots lui assécha la gorge. Manaka déglutit, réfléchit, releva les yeux sur son cousin et l’écouta avec attention. Il s’engageait sur une voie dangereuse et cela devait être dans ses habitudes. Malgré la peur qu’elle pouvait éprouver à sa place, elle était quelque part fière qu’il lui ait demandé à elle de l’accompagner. Cette impression étrange lui chauffait le cœur et occulta ses craintes pour quelques minutes au moins, libérant son esprit par la même occasion.

« Crains-tu que j’écoute les appréhensions qui me traversent l’esprit plus que ma raison ? demanda-t-elle sur un ton presque taquin. Personne ne peut partir là-bas sans s’inquiéter un minimum, ajouta la kunoichi de manière plus dogmatique.

Croisant les bras sous sa poitrine, elle garda pour elle-même que c’était cette peur qui nourrissait la prudence et permettait au plus grand nombre de rentrer en vie. Il la connaissait, savait qu’elle avait déjà envoyé valser nombre de ses craintes à une époque lui paraissant lointaine. Elle avait côtoyé la Mort et lutté contre elle. Parmi ses pairs, elle était une des plus à même de comprendre et assimiler les risques que représentaient les missions au-delà du Pays du Feu.

- Je viendrai avec toi, confirma Manaka après avoir pesé les éléments en sa possession. Je ne remets pas ta parole en doute, Itachi. Le Pays du Son, c’est quelque chose et je suis assez étonnée que le conseil t’ait laissé ce genre de liberté.

Homura et Koharu n’étaient pas connu pour leur laxisme et ils n’étaient pas les pires parmi les élites du village. Retenant un soupir et un mouvement de tête éloquent, Manaka revenait au raisonnement d’Itachi ; Minato était essentiel au village et les acquis de Konoha se trouvaient menacés. Sûrement que les autres villages cachés devaient maintenant avoir eu vent de cet événement et la disparition de celui qui avait mis fin à la Troisième Grande Guerre Shinobi allait certainement donner la folie des grandeurs à quelques revanchards.

- Je dois aller remettre ceci à qui de droit, déclara l’iryônin en désignant les affaires qu’elle avait empruntées.

Manaka demeurait pensive, laissant s’emmêler et s’entrechoquer mille et unes pensées avant de poursuivre cette conversation.

- Je n’ai pas décelé d’évolution majeure, affirma-t-elle en plantant son regard dans celui de son cousin. Tu es apte à partir en mission. J’irai le notifier en retournant à l’hôpital.

Son regard se perdit un instant, puis elle posa une question lui brûlant les lèvres.

- Quand veux-tu que nous partions ? »