Pour aller du pays de la Roche au pays des Rizières, sans passer par Konoha, il faut traverser le pays des Cascades et le pays du Fer. Autrement dit, traverser deux régions neutres, dont une grouillante de samouraïs, pour arriver à destination. Si franchir le pays des Cascades est une partie de plaisir, car c’est une zone neutre qui a depuis longtemps renoncé à ses rêves de gloire, le pays du Fer est un autre morceau. Les samouraïs sont neutres mais d’une autre manière ; ils restent isolés dans leurs montagnes mais ne tolèrent aucune agression, ils ripostent farouchement et voient d’un très mauvais œil les ninjas, même de passage. Jadis, il suffisait d’évoquer leur nom pour que tous se mettent à trembler, le ninja n’était alors rien de plus qu’un amuse-gueule, un assassin de pacotille qui a besoin des ombres pour échapper au samouraï. Si aujourd’hui, les porteurs de sabres ont perdu de leur gloire, ils n’en restent pas moins une menace pesante, un rappel sourd que, le ninja n’est pas toujours le sommet de la chaîne alimentaire.
Ce sont les réflexions que je me fais, car il est rare qu’une kunoichi d’Oto nous rende visite. Elle a dû traverser le pays du Fer, je vois très mal un ninja d’Orochimaru circuler à Konoha, ils sont en paix, mais cela ne veut pas dire qu’ils ont un accord de libre passage.

« Kin Tsuchi. » M’annonce un subordonné. « Que devons-nous faire ?
-Le grand patron a été clair : il reçoit en personne les émissaires de Kumo, Suna, Kiri et Konoha. Il délègue volontiers pour les petites nations. » Je quitte mon bureau, un placard à balais qui me sert à entasser la paperasse et m’étire de tout mon long. « Je vais accueillir en personne mademoiselle. »

En réalité, Onoki ne reçoit que rarement les émissaires, même lorsqu’ils viennent d’une puissance majeure : Kumo envoie régulièrement un messager pour prendre de nos nouvelles, Suna nous fait parvenir de temps à autre un coursier qui vient prendre la température. Nous avons quasiment rompu les liens avec Kiri et Konoha, je crois que cette indifférence mutuelle nous convient à nous trois.
Personne n’a de réel intérêt à nous parler, cela convient au chef, pas à moi.
C’est pour cela que je viens à la rencontre de l’émissaire d’Orochimaru, aux portes de la cité : pour discuter. A vrai dire, cela tombe bien, puisque je suis l’officier en charge des portes pour ce mois-ci.
Puis je vois la jeune fille devant moi et mon instinct de grande sœur prend le dessus, j’ai un élan de sympathie envers la ninja d’Oto : une ado qui ne doit pas avoir l’âge de ma frangine. J’en oublie presque de m’incliner, ma révérence n’en est que plus basse. Mon ton plus que courtois.

« Mes respects, je suis Miura Kana, officier de la police militaire d’Iwa. J’ai été chargé par le kage de vous accueillir et de le représenter. Il n’est malheureusement pas disponible, » disposé en fait, « pour vous rencontrer en personne. Ce sera avec moi que les discussions auront donc lieu. Si vous voulez bien me suivre, nous pouvons discuter dans mon bureau. » Lorsque nous arrivons, je range sur le côté une pile de papier et l’invite à s’installer en face de moi, ensuite ? L’hospitalité iwajin. « Avant de commencer, puis-je vous servir quelque chose ? »

En y resongeant, mon bureau est plus proche de la cellule de prison qu’autre chose : sans les bibliothèques qui jalonnent les murs de la pièce, on pourrait vite croire à une geôle. Il y a des barreaux à ma fenêtre, je n’ai droit qu’à une petite table basse et deux coussins, ainsi que quelques fournitures pour égayer un peu tout ça. Heureusement, j’ai une armoire pour ranger l’alcool.

« D’ailleurs, avez-vous fait bon voyage ? » Et je me rends compte que cette illusion de distance me met un peu mal à l’aise.

C’est une ninja d’Oto, nous détestons les mêmes personnes et je dois avoir dix ans de plus qu’elle, toutefois j’hésite : tutoyer une représentante officielle n’est pas forcément l’idée la plus brillante qui soit.

Du thé et du papier pour prendre note, j’ai déjà tout ce qu’il me faut, mais dans le doute, plus vaut mieux que pas assez. Je m’excuse une seconde, le temps d’aller à la porte pour demander à un subordonné une théière, puis revient vers mon hôte. En retournant à ma place, j’attrape de quoi écrire tout en lui répondant.

« Le thé arrive sous peu, je vous présente mes plus humbles excuses pour l’accueil froid que vous avez dû subir, nous n’attendions pas une visite d’Oto. » Il faudra que je renforce le protocole à ce sujet : par les temps qui courent, il est fort probable que d’autres messagers viennent nous quérir.

Si nous ne sommes pas plus réactifs, cela risque vite de se traduire par des attentes ou des quiproquos diplomatiques. Kumo fait preuve de patience à notre égard, Konoha et les autres villages n’auront pas cette même tolérance, s’ils ont le moindre brin de compassion à notre égard. J’en doute fort. En notant son nom et les raisons de sa venue, je ne peux m’empêcher de lui poser quelques questions, non sans dissimuler mon enthousiasme.

« C’est un honneur que de recevoir une émissaire du Son, » j’aime les nouvelles têtes. « Toutefois, » parce qu’Orochimaru est un criminel qui est recherché par Konoha, accusé de mener des expériences contre nature, « je dois vous demander quelques précisions. » Pour ne pas nous faire de faux espoirs à tous les deux.

Mon regard se porte vers elle, ninja du Son, même si je ne peux m’empêcher de voir une jeune fille. Quel âge a-t-elle ? Je n’avais pas souvenir qu’Orochimaru recrutait des enfants, si elle est à la hauteur de son poste, il recueille ses troupes dès le berceau. Malgré tout, sous ce protocole un peu lacunaire, je crois distinguer une volonté de bien faire, quoiqu’un peu brute, sortie de la forge.

« Votre chef, Orochimaru, a une certaine notoriété ici : certains le détestent, vous aurez pu noter les regards qu’on a pu vous accorder, car de lourdes accusations pèsent sur lui. D’autres l’apprécient, car c’est un ennemi de Konoha, vous n’ignorez pas les tensions qui existent entre mon pays et celui du Feu. »

A vrai dire, je me demande combien se porteraient volontaires pour le secourir, si un jour Konoha attaquait le pays du Son. Nul besoin d’attendre Onoki, j’en connais plusieurs qui seraient prêts à y aller de leur propre chef, autant par haine du village de la feuille que par sympathie envers le serpent blanc.
Elle est allée droit au but, je vais prendre le temps d’introduire le problème, qu’il n’y ait pas d’incompréhension.

« Pour ma part, j’essaie de rester neutre. Toutefois, pour le rapport que je présenterai au Tsuchikage, je dois savoir si vous représentez le Daimyo du pays du Son, ou au contraire, » Orochimaru, « le Kage. » Pour des raisons diplomatiques évidentes, savoir si c’est un pays, ou un chef militaire qui entre en pourparlers avec Iwa est un détail important. « Ou alors, s’il s’agit d’une décision prise en autonomie. » Je n’ai reçu aucun sceau, ni aucune missive de sa part, or, c’est souvent l’une des bases du protocole que d’apporter une preuve que l’on vient parler au nom de son chef. « Je suis ouverte au dialogue et en ces temps difficiles comme vous dites, les alliés comptent beaucoup. Je ne vois aucun mal à renouer le dialogue avec d’autres villages, mais certains ne le voient pas de cet œil, c’est pour cela que je demande ces précisions. »

Un des gardes revient avec du thé, il dépose la théière et s'éclipse après nous avoir honoré d'une courbette. En voyant le thé noir qui nous a été servi, je ne peux que présenter une excuse à la très officieuse émissaire d’Oto, tout en faisant le service. Toujours avec le sourire.
Je ne vais pas faire travailler une fille qui a marché sur des centaines de lieues.

« Je suis navré, je demanderai du matcha la prochaine fois. »

Un pays agricole qui se dote d’une armée et d’un kage, quiconque soit-il, reste une nouvelle importante : il est rare de voir une puissance émergée des ombres. Si Oto est un pays secondaire sur le plan diplomatique, il n’en reste pas moins un élément à part entière avec lequel nous devons composer. Il serait impensable de les prendre de haut, ou de les négliger, s’ils sont des acteurs de second plan, nous devons les prendre en compte. Une nation ennemie de Konoha, puissance agricole et qui profite d’un statuquo bienvenu à l’égard du pays du Feu, c’est un mélange pour le moins inquiétant. Littéralement un incident diplomatique en attente, toutefois, j’ai une certaine inquiétude vis-à-vis de sa légitimité : sans papier, ni sceau officiel, mais seulement sa bonne foi pour me prouver qu’elle est une ninja d’Oto, avec un bandeau d’identification.
Pour être honnête, elle pourrait être une renégate qui cherche à fuir le village. Certains sont prêts à tout pour fuir la vie de ninja, si elle n’a pas l’air d’être une victime des circonstances, il ne faut écarter aucune piste.
Toutefois, il y a des questions plus pressantes à répondre.

« Je suis ravie que le thé soit à votre goût. » Bien accueillir ses invités est un élément clef de la diplomatie.

Dommage que nous n’ayons pas de pâtisserie sous la main, c’est bientôt l’heure de la pause.

« Je comprends tout à fait que c’est une première approche, avec tout ce que cela implique. En l’absence de document formel qui atteste d’une volonté de nouer contact, c’est en effet un premier échange, tout ce qu’il y a de plus officieux si je puis dire. Si l’idée peut paraître ridicule à certains, Iwa a déjà eu des cas de défection sous prétexte de mission diplomatique : des ninjas qui viennent déposer les armes en se faisant passer pour des messagers. Les soldats qui viennent nous présenter leur reddition sont traités avec dignité, mais lors des guerres ninjas, ils complexifiaient massivement les communications entre belligérants. » Toutefois je m’égare, inutile de tergiverser longuement sur des faits passés et connus. J’éclipse le sujet d’un revers de main. « Passons, je radote : vous avez raison, si nous voulons avoir un objectif commun, nous devons avoir des intérêts communs. » J’ai une pause, maintenant que l’idée m’est venue à l’esprit, elle ne veut plus partir. Toute cette mission diplomatique est étrange, peu orthodoxe. « Souhaitez-vous aborder un sujet particulier ? Peut-être des préconceptions qu’Iwa aurait sur le village caché du Son ou inversement, des détails à clarifier. Je vous harcèle de question, mais vous n’avez pas encore eu l’occasion de me retourner la politesse. »

Les réponses viennent et avec elles, les coups de masse.
Je répondrai volontiers d’un « oui » acéré, à ces remarques sur les guerres entre grandes nations qui laissent un sillage de dévastation. Je sais, j’ai révisé mes cours d’histoire, j’ai eu vent des hameaux ravagés par les flammes, des rizières salées, des puits empoisonnés. Je ne peux m’empêcher de regarder le fond de ma tasse de thé, comme pour essuyer la tache qui éclabousse mon égo ; moi aussi à une époque, j’étais une laissée pour compte. Difficile de monter les échelons quand on est borgne et native d’un village de montagne.
Je n’aurais pas la prétention de dire que je la comprends, parce que ce n’est pas la même chose que de grandir à la périphérie d’une grande nation et être une villageoise recrutée sur le pied de guerre, si l’appellation convient.
Je prends une petite gorgée de mon thé et réprime la grimace en sentant l’eau chaude brûler mon œsophage. Mon regard se perd quelques instants dans les bibliothèques, eh oui, être ninja c’est quelque chose de très personnel, chacun a sa définition du ninja.

« Iwa est une nation qui a beaucoup souffert des guerres, avec les réparations qui nous ont été extorquées, le pays a des pénuries alimentaires. On se rétablit, mais c’est un processus lent qui a laissé beaucoup de gens sur le carreau. Ça ne se voit pas trop ici à la capitale, car elle est le centre névralgique de l’économie, mais les villages isolées peinent à se remettre des conflits. Des importations de riz aideraient à soulager le stress qui est mis sur notre agriculture. Les mines de charbon et les mines de fer nous sont inutiles en alimentation. » Au grand regret du Daimyo.

S’il pouvait nous faire manger du charbon pour économiser sur les importations de nourriture, je suis persuadée qu’il le ferait.
Toutefois, dans son discours, ce n’est pas la notion diplomatique qui m’a interpellé, mais cette rancœur envers les grands pays, cette amertume constante, aussi bien envers les nations dominantes que les décisionnaires qui me surprend. Aller à l’encontre du serpent blanc, j’en connais peu qui auraient le cran de tenir tête à un sannin, pourtant la voilà dans mon bureau, sans l’approbation du chef du village du Son. Si ce n’est pas du courage ni de la témérité, c’est de l’inconscience, où l’enthousiasme fou furieux de la jeunesse.

« Je transmettrai votre requête au chancelier, concernant la diminution des formalités avec les petits villages. » J’ai un élan de sympathie envers elle, elle a dû voir son lot de violences et elle continue sur la voie du ninja, par choix ou par obligation ? « Quant au reste, je sais, j’ai lu les archives et avant d’être affectée à la capitale, je patrouillais les confins du pays. Je sais à quoi peut ressembler la vie ailleurs, j’y suis né. » Les conflits tribaux, la situation quasi féodale, les disputes entre voisins qui se réglaient à la houe. « Ce qui m’amène à une question plus personnelle, que j’hésite à faire apparaître dans mon rapport : si c’est au mépris du serpent blanc que vous êtes venue ici, pour qui faites-vous cela ? Dois-je en déduire que c’est le petit peuple ? Celui qui a enfanté des premiers ninjas, lors de l’époque maudite où les samouraïs dominaient la terre ? » Ma question est posée sans sarcasme ni reproche, je peine trop à dissimuler ma compassion pour être agressive. « A l’époque où chaque ninja avait un nindo ? »

« Ce n’est pas à moi d’en décider, il faut que j’en discute avec mon chef. » Je me lève à mon tour, alors qu’elle se dirige sur mon bureau. « Attendez, » ça ne doit pas nécessairement se finir comme ça.

Je sais que c’est une ninja d’Oto, ou du moins, j’imagine mal quelqu’un faire un faux bandeau d’identification pour se déguiser en factionnaire du son. Toutefois, qu’elle parte comme ça sans crier gare me laisse un embarrassée, je savais que la diplomatie n’était pas toujours facile, mais aujourd’hui c’est un nouveau type de gêne qui s’empare de moi. D’autant plus que j’ai de la sympathie pour une gamine dans son genre, frangine un jour, frangine toujours.

« Votre route a été longue, êtes-vous certaine de ne pas vouloir rester pour la nuit ? Vous repartirez au petit matin. » L’hospitalité des montagnes.

Je sais à quel point la route peut être difficile, surtout quand on est un étranger, alors il est de mon devoir de proposer une nuit au chaud à mon hôte. Même si c’est une émissaire qui a encore du mal avec les formalités et le protocole. En réalité, c’est presque de la compassion que j’ai pour cette gamine ; ninja n’est pas un métier facile, être au service d’un criminel de guerre. Ne serait-ce que par la réputation qu’il peut avoir, être au service d’un renégat ne doit pas être facile tous les jours.

« Sinon, je vous souhaite bonne route. Dans tous les cas, sachez que vous êtes la bienvenue. Nous enverrons une lettre à Oto pour vous faire part de notre décision finale, concernant les relations diplomatiques que nous souhaitons entretenir avec le village caché du son. »